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La pensée stratégique au risque du quantitatif

Jean-Paul Hébert

Par Jean-Paul Hebert , 20 juin 2007

La LOLF (loi organique sur les lois de finances) adoptée en août 2001s’est appliquée pour la première fois avec le budget de 2006. Elle constitue un bouleversement radical de la présentation budgétaire. mais ce bouleversement va bien au-delà de la seule présentation. Il induit des modifications profondes tant dans la compréhension du budget de la défense que dans les conditions de production de l’analyse stratégique.

La LOLF change d’abord la nomenclature des crédits : ils ne sont plus classés par type de dépenses (investissement, fonctionnement, interventions) et par ministère (défense, intérieur ..) mais par missions et programmes. La LOLF définit 34 missions (qui peuvent être interministérielles), décomposées en 132 programmes (ne pouvant dépendre que d’un seul ministère), eux-mêmes fractionnés en 620 actions.

Depuis 2006, le budget de la défense correspond donc à quatre missions : défense, sécurité (mission interministérielle, ici la gendarmerie), anciens combattants - mémoire et liens avec la nation, et recherche et enseignement supérieur (interministérielle, ici il s’agit des crédits de recherche duale). Ces quatre missions sont de volumes très différents.

La mission défense est elle-même divisée en quatre programmes :
-  Programme 178 « préparation et emploi des forces » (21 milliards d’euros),
-  Programme 146 « équipement des forces » (10,4 milliards d’euros),
-  Programme 212 « soutien de la politique de défense » (3,2 milliards d’euros)
-  Programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » (1,7 milliards d’euros). On voit que les nouveaux intitulés ne correspondent plus à l’approche précédente des crédits par armée.

Rôle renforcé du parlement ?

Les arguments mis en avant pour justifier cette nouvelle approche sont d’abord le rôle renforcé du parlement dans la discussion budgétaire : jusque-là c’était essentiellement les dépenses nouvelles qui étaient soumises à la discussion (environ 6% du budget total). Dorénavant c’est l’ensemble du budget qui théoriquement sera revu chaque année et dont l’exécution sera contrôlée par des « indicateurs précis ». Les citoyens sont ainsi censés avoir une connaissance plus facile du budget de l’Etat et de son efficacité. Par ailleurs on insiste sur la transformation de la gestion : chaque programme est dirigé par un responsable nommément désigné qui a une plus grande liberté de gestion des crédits attribués au programme en question.

Si la plus grande souplesse dans la gestion des crédits est certainement un des atouts de la LOLF, il faut cependant examiner de plus près les autres aspects.

Tout d’abord, la lisibilité plus grande du budget est rien moins que certaine : la multiplication des intitulés de programmes et d’actions ne facilite pas la synthèse et ces intitulés eux-mêmes ne sont pas d’une précision indiscutable : la différence entre la « préparation des forces » et « soutien de la politique de défense » est loin d’être évidente.

Ce qui était auparavant appréhendé d’une manière immédiate (dépenses d’équipement) est aujourd’hui réparti d’une manière plus confuse sous l’apparence d’une plus grande rigueur : c’est ainsi que dans le document de présentation du budget 2007 de la défense , alors que le programme 146 « équipement des forces » est chiffré à 10,412 milliards d’euros , l’introduction du document avance le chiffre de 16 milliards d’euros , ce qui constitue évidemment une différence significative.

De plus l’hypothèse que l’ensemble du budget soit rediscuté chaque année apparaît comme peu plausible : pour que cela soit possible il faudrait que le temps et les moyens consacrés à une telle analyse soient multipliés, ce qui n’est guère vraisemblable. Ce l’est d’autant moins que, si on a constaté depuis dix ans un développement réel des informations sur les questions de défense (rapport au parlement sur les exportations d’armement, annuaire statistique de la défense, rapport d’activité de la DGA, développement des publications de la Dicod, etc.), il faut tenir compte du fait que ce développement en volume ne s’est pas toujours accompagné de la même progression en qualité de l’information : la dernière édition de l’annuaire statistique de la défense remonte maintenant à décembre 2005 et interrompait la publication de certaine séries pourtant significatives (notamment les effectifs de l’industrie de défense, les données concernant le personnel civil de la défense et surtout l’analyse des contrats industriels du ministère) .

De même l’évolution du rapport annuel de la DGA se caractérise par un document de plus en plus illustré de photographies et de moins en moins de données chiffrées (impossible par exemple de trouver les effectifs des centres d’essais).

On sait également que voilà bientôt quinze ans que la publication du fascicule budgétaire consacré à l’industrie d’armement et à la R&D a été suspendue, sans qu’on n’annonce nulle part la reprise de cette publication : l’hypothèse d’une discussion générale des crédits et missions de la défense ne serait crédible qu’appuyée sur une politique d’information détaillée, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Les ratios contre la pensée

Cet « examen » général est annoncé comme permettant à la représentation nationale d’évaluer « l’efficacité » de la dépense publique. En réalité cette évaluation repose sur les fameux « indicateurs précis ».

On entre ici dans ce qui est sans doute la question principale de la LOLF : est-ce qu’il est possible de traduire les choix stratégiques de la Nation en ratios mathématiques ? La complexité du réel, particulièrement marquée en matière stratégique est-elle réductible à la quantification ? L’utilisation d’indicateurs de performance peut certainement être un complément utile.

De là à faire de ces indicateurs l’instrument global ultime d’évaluation de la politique de défense , il y a un fossé.

D’autant que la pertinence de ces indicateurs n’est pas toujours établie : pour ne prendre qu’un seul exemple, dans le programme 144 (« environnement et prospective de la politique de défense »), les six « actions » définies sont accompagnées de six « objectifs » (sans d’ailleurs que ces objectifs soient clairement reliés aux actions ...). l’objectif N°2 est « améliorer le niveau de sécurité des forces et du patrimoine industriel et économique lié à la défense (DPSD) ». le premier indicateur de cet objectif est « taux d’avis émis dans les délais prescrits » c’est-à-dire la capacité de la DPSD à émettre des avis d’habilitation dans un certain délai...

Quand on sait les controverses qui sont nées parfois de certaines décisions de la DPSD, il serait certainement plus intéressant d’analyser le contenu des réponses données par la DPSD que le temps mis à répondre .. La même critique pourrait être faite à bien des indicateurs du budget. En réalité, cette présentation ne fait que redécouvrir la vieille technique du PPBS (planning, programming, budgeting system) chère à Robert MacNamara, qui pensait ainsi rendre plus efficaces les troupes américaines au viet nam.

Ce faisant on court le risque de tomber dans l’illusion quantitative : il est bien difficile de penser que les choix stratégiques puissent être découpés et enfermés dans des ratios de ce genre : la conséquence la plus probable d’une telle démarche sera de repousser aux calendes grecques la discussion sur les choix fondamentaux. C’est le début d’un enfermement dans le mirage techniciste.

Si on ajoute que dans cette nouvelle présentation, la LOLF introduit une solution de continuité dans toutes les séries statistiques (qu’il s’agisse de l’évolution des crédits par armée, ou de la répartition traditionnelle titre III / titre V, ou des effectifs, etc),on voit que la lucidité sur l’avenir, nécessairement nourrie de la connaissance du passé, sera plus malaisée à établir.

L’assouplissement nécessaire de la gestion aurait pu être obtenu sans qu’on l’accompagne de telles transformations . L’avenir dira si la pensée stratégique française arrivera à échapper au danger du technicisme.


 


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