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Elections en Palestine : un tournant historique

Bernard Ravenel

Par Bernard Ravenel, 15 avril 2006

La victoire du Hamas aux élections palestiniennes constitue un tournant historique dont il est difficile de mesurer la portée. Elle signe la défaite non seulement du Fatah (et par conséquent de l’Autorité Nationale Palestinienne (A.N.P.) instituée par les Accords d’Oslo) mais aussi de toutes les forces de gauche qui, avec lui, ont constitué l’OLP comme mouvement national progressiste, pluraliste et laïcisant née au milieu des années 60.

Le succès islamiste s’inscrit aussi dans la montée générale que connaît le monde arabe de l’Islam politique qui se présente comme la seule alternative aux pouvoirs autoritaires locaux tenus par les Etats-Unis. Les raisons spécifiques du triomphe du Hamas sont désormais connues : incapacité de l’ANP de s’imposer comme interlocuteur face à l’unilatéralisme israélien, incapacité aussi à garantir la sécurité de la société palestinienne face aux exactions des groupes armés « hors contrôle », surtout issus du Fatah, corruption et clientélisme dans une société en voie de désintégration.

Mais le nouveau Conseil Législatif - le Parlement palestinien - ne représente pas seulement l’élection d’une nouvelle majorité issue d’une bataille politique interne « normale » menée dans un cadre démocratique incontestable qui fait de la Palestine, à côté d’Israël, le deuxième pays « démocratique » au Moyen-Orient.... Il est d’abord le résultat d’un processus de fond qui est le produit direct de l’occupation israélienne face à laquelle le faible pouvoir palestinien a été systématiquement réduit à l’impuissance.

Quant à la communauté internationale tout se passe comme si elle sortait d’une longue léthargie qui l’avait envahie depuis le « retrait unilatéral » de Gaza. Elle semble découvrir que la paralysie diplomatique et la permanente répression israélienne ne suffisaient pas à changer la réalité de l’occupation. Aux yeux de beaucoup le redéploiement militaire autour de Gaza a occulté le fait que ce retrait ne représentait en aucune manière une relance du processus de paix, un processus mort au moins depuis l’assassinat de Rabin en 1995. L’unilatéralisme est vite apparu comme la méthode choisie par le pouvoir israélien pour refuser une négociation et imposer aux palestiniens une « solution » ignorant leurs principales revendications.

Des perspectives lourdes d’incertitudes

Sur la scène intérieure palestinienne la passation des pouvoirs du Fatah au Hamas est inévitablement laborieuse. Après avoir envisagé un gouvernement de « technocrates » l’on s’oriente ver un gouvernement à direction Hamas avec une grande incertitude sur le niveau possible de participation du Fatah. Cependant le Président Abu Mazen, élu un an avant, garde la main en matière de politique internationale.

Mais l’agitation provoquée par cette victoire inattendue - pourtant prévisible si l’on suivait de près l’évolution interne - dans la communauté internationale laisse entrevoir des évolutions significatives. Ce n’est évidemment pas d’Israël que l’on pouvait attendre un changement d’attitude : la victoire du Hamas conforte la ligne « dure » de son leadership dans son refus de toute négociation, dans l’affirmation d’une « unilatéralité » imposant par la force ses choix sur l’avenir du conflit. Les autorités israéliennes espèrent même qu’avec l’arrivée du Hamas au pouvoir, elles pourront, sans réaction internationale réelle, parachever le Mur, en particulier dans la Vallée du Jourdain, dans et autour de Jérusalem, rendant ainsi impossible la constitution d’un Etat palestinien viable. C’est le sens du programme de Kadima, présenté par l’actuel premier ministre E. Olmert et qualifié par Khalid Neschaal, chef du Bureau politique du Hamas (en exil) de "véritable déclaration de guerre".

Dans l’immédiat, avec une belle dose de cynisme de type colonial, le pouvoir entend imposer aux Palestiniens, une sorte de « siège économique limité » selon la radio militaire, en clair une stratégie d’étranglement économique et financier. On gèle la rétrocession du produit des taxes perçues par Israël mais dû aux Palestiniens, on bloque l’entrée à Gaza des aides humanitaires et des produits de première nécessité.... Chaque jour ou presque des assassinats ciblés sont commis en espérant une réaction « militaire » des Palestiniens pour mieux justifier une intervention massive, au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Du côté du Quartet (Etats-Unis, Union Européenne, Russie, ONU), pris de court, la première réaction a été de s’aligner sur Israël. L’injonction au Hamas est explicite - et unilatérale - : « reconnaissez Israël et renoncez aux armes », sinon l’aide internationale (700 millions de dollars) sera coupée.

Finalement il semble que soumis à une exigence des gouvernements arabes amis mais très préoccupés par la popularité de la victoire du Hamas dans tout le monde musulman, les Etats-Unis et l’U.E. ont modifié leur position initiale et décidé de maintenir leurs engagements financiers tout en maintenant leurs exigences vis-à-vis du Hamas.

Mais la surprise est venue de la Turquie et de la Russie. Fin janvier, le premier ministre turc Tagyip Erdogan a déclaré que la Turquie était prête à jouer le rôle d’intermédiaire entre Israël et Hamas. La Turquie veut montrer à l’U.E. sa capacité à jouer un rôle utile de pont entre Occident et monde musulman.

« Coup de poignard dans le dos d’Israël » c’est ainsi qu’un ministre israélien, Méir Sheetrit, a défini la décision du Président Poutine d’ouvrir un « canal de communication » avec le Hamas, les « demandes d’explications » des Etats-Unis n’y ont rien fait. Plus, le porte-parole du Ministère français des Affaires Etrangères a déclaré que l’initiative russe « peut contribuer à faire avancer nos positions » adoptées à l’intérieur du Quartet.

Le front uni du Quartet est bel et bien rompu.

Moscou est bien décidé à récupérer au Moyen-Orient au moins une partie du rôle et du prestige de l’ex-URSS. L’année 2006 pourrait être importante si l’on prend en compte le rôle que Moscou - qui détient la présidence tournante au G8 - est en train de jouer dans la crise Syrie-Liban et surtout dans la crise Iran-Occident sur le nucléaire à un moment où la sécurité internationale est en tête de l’agenda occidental. Sans oublier le poste d’observateur obtenu par la Russie en 2005 à la Conférence des pays islamiques. Bien entendu, en arrière fond, il faut prendre en compte les enjeux financiers énormes représentés par les armes et l’énergie - et les produits de haute technologie - dans une région où la course aux armements continue de plus belle.

Dans cette poudrière la victoire du Hamas permet face à l’axe américano-israélien, la formation d’un contre-axe géostratégique qui relierait l’Iran et la Palestine via la Syrie - satisfaite de la victoire islamiste - et le Hezbollah libanais. La question qui se pose alors est celle de l’articulation de cet arc de crise avec la situation en Irak, c’est-à-dire avec la stratégie américaine et celle d’Al Quaïda. Le tout dans une atmosphère de « guerre des civilisations ».

Bernard Ravenel


 


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